Bien apprendre l’anglais nécessite un entraînement intensif

Bien apprendre l’anglais nécessite un entraînement intensif

Evelyne Muller, Université de Lorraine

Comment apprend-on une langue étrangère ? Pour la plupart des gens, cela passe par l’apprentissage fastidieux de règles de grammaire, la mémorisation de vocabulaire, des mots bafouillés parfois avec gêne ou, pour les plus jeunes, le visionnage de séries à la chaîne et l’usage d’applis ludiques.

Beaucoup de temps et d’énergie y sont consacrés, mais parfois sans résultats probants. Rappelons que, d’après la conférence de consensus du CNESCO sur l’apprentissage des langues menée en 2019, 75 % des élèves en fin de collège ne seraient pas capables de s’exprimer à l’oral dans un anglais globalement correct.

Ce décalage entre les efforts consentis et le niveau atteint ne nous invite-t-il pas à interroger l’approche communément choisie dans l’étude d’une langue ? N’accorderait-on pas trop d’importance à sa dimension intellectuelle par rapport à sa dimension physique ? Et ne faudrait-il pas penser plutôt l’acquisition d’une langue étrangère comme un entraînement sportif ?

On oublie trop souvent que « parler » une langue est un acte éminemment corporel : parler, c’est émettre des sons conventionnellement porteurs de sens dans une communauté linguistique donnée, à l’aide d’organes situés principalement dans notre cavité buccale (langue, dents) et notre larynx (cordes vocales).

Un travail d’adaptation

Pour mieux comprendre le travail que nécessite l’apprentissage d’une langue, on peut se risquer à une métaphore, et se demander si le champion de tennis Rafael Nadal ferait par exemple un bon joueur de badminton. Sur un autre registre, écouterait-on Renaud Capuçon avec le même plaisir s’il troquait son violon pour un violoncelle ? On peut en douter, car la maîtrise d’un sport ou d’un instrument n’est pas facilement transposable à un autre, les apparentes similitudes pouvant être trompeuses.

De la même façon, si nos organes de la parole et de l’ouïe constituent des instruments communs à l’ensemble du genre humain, ils doivent nécessairement s’adapter lors du passage à une langue différente de la nôtre.

Do you speak english ? Les politiques français parlent anglais (Brut, janvier 2017).

Dès notre plus jeune âge, à travers le babillage et l’imitation permanente de notre entourage immédiat, nous nous exerçons longuement à mobiliser ces organes phonatoires pour articuler des sons compréhensibles dans un code linguistique partagé, jusqu’à l’obtention de « gestes articulatoires » réflexes.

Lorsque nous parlons une langue étrangère, nous avons naturellement tendance, par mimétisme inconscient, à plaquer ces gestes articulatoires de la langue maternelle sur la langue cible, créant ainsi un accent qui peut être charmant mais devient vite handicapant en contexte professionnel ou dans la vie courante.

Émettre des sons non reconnus par l’interlocuteur aboutit à une communication imparfaite : on sous-estime souvent l’écart entre ce que l’on croit dire et ce qui est effectivement compris par l’interlocuteur. Pour reprendre notre analogie, ce transfert automatique reviendrait à jouer au badminton avec les règles et la raquette de tennis…

Coaching sportif

Les dimensions acoustique et phonatoire du langage sont le parent pauvre de l’apprentissage scolaire des langues, même si elles apparaissent dans de nombreux tutos en ligne ou dans la méthode verbo-tonale en FLE (Français Langue Étrangère). Les élèves et étudiants sont parfois sensibilisés à la phonétique (la transcription écrite des sons, qu’on peut comparer au solfège pour la musique).

Mais ils ne s’exercent que trop rarement à cette activité physique : la production des sons adéquats (phonation), étroitement liée à la capacité de perception sonore (décodage de la chaîne de sons, exigeant lui aussi une forme de rééducation de l’oreille).

When the FRENCH ACCENT isn’t SEXY (Moontajska Productions).

Parmi les apprenants subsiste en effet la croyance selon laquelle le bain linguistique suffirait seul à déclencher un transfert de compétences. Écouter/visionner de l’anglais, séjourner à l’étranger, aboutirait comme par magie à devenir bilingue. Mais devient-on forcément un bon joueur de tennis en se contentant d’observer ou même de fréquenter des champions ? Évidemment pas. Un entraînement personnel long et régulier est nécessaire afin d’éduquer le corps à reproduire les bons gestes, jusqu’à l’automatisme.

Cet entraînement physique est tout aussi nécessaire à l’apprentissage d’une langue étrangère, processus comparé par certains chercheurs à une rééducation motrice ou orthophonique : selon Didier Bottineau,

« l’apprentissage d’un mode phonatoire étranger à un âge avancé (collégien, lycéen) suppose la rééducation du corps parlant dans une discipline phonatoire sportive pour laquelle le corps n’a pas été préparé et dont l’esprit n’est pas conscient. »

Ce travail indispensable peut cependant être ingrat car il consiste à « imposer à son corps un système de contraintes pour lequel il n’est pas prévu en raison des orientations de son développement antérieur déterminées par l’usage du français – ce qui revient à initier à la danse classique un cavalier aux jambes arquées par dix années d’équitation quotidienne ».

De quel type de rééducation s’agit-il ? La simple étude de la phonétique (description théorique des sons) n’est pas suffisante : un bon musicien doit certes travailler le solfège, mais également s’exercer assidûment sur son instrument pour améliorer sa performance. La clé d’un apprentissage réussi est de prendre conscience de la posture articulatoire de sa propre langue.

When a Frenchman calls an Indian Call Center : The iRabbit (Moontajska Productions).

Il faut pour cela s’écouter et même se regarder parler, sans prêter attention au sens mais uniquement à la prosodie (la musique de la langue). Le rôle de l’enseignant s’apparente ici à celui d’un coach sportif ou musical, qui doit veiller au déconditionnement et à l’adoption de nouveaux « gestes articulatoires ». C’est d’ailleurs l’entraînement qu’a dû suivre Gad Elmaleh, accompagné d’une coach linguistique pour préparer son spectacle américain.

Coaching sportif

Prenons un exemple concret. Si le français est votre langue maternelle, vous parlez sans le savoir en « mode tendu » : vous régulez le débit d’air expiré à chaque syllabe, que vous prononcez avec une force égale en martelant davantage la dernière syllabe d’un groupe de sens. Ce mode articulatoire vous paraît tellement naturel que vous le plaquez instinctivement sur l’anglais, ce qui peut vous empêcher de prononcer et comprendre correctement les énoncés dans cette langue.

En effet, la langue anglaise fonctionne sur un schéma articulatoire très différent, appelé « mode expiratoire » : volume d’air plus important retenu en bouche, consonnes et voyelles familières prononcées différemment (voyelles courtes/longues, son « h » accompagné d’un souffle, retenue et expiration brutale sur les consonnes plosives p/t/k ⎯ le port actuel du masque aide d’ailleurs à contrôler ce geste : le souffle d’air projeté doit faire bouger le masque).

Ce n’est donc pas le fameux « th » qui constitue la principale difficulté de prononciation, mais la position articulatoire complète qui doit être modifiée, ainsi que la rythmique, semblable en anglais à un électrocardiogramme avec une alternance régulière de syllabes accentuées et inaccentuées, distribution qui affecte la réduction vocalique (comparez sur un dictionnaire audio la prononciation de agenda/agency, Canada/Canadian : la lettre « a » n’est prononcée qu’une fois avec le son/a/dans ces mots).

Voici une illustration du nécessaire changement à opérer, si besoin avec l’aide d’un métronome (exemple en vidéo à partir de 32’45 dans la vidéo ci-dessous) :

Pour reprendre la métaphore sportive, un francophone qui souhaite non seulement parler mais se faire comprendre en anglais, doit nécessairement « changer de discipline » : il lui faut abandonner le schéma corporel typique de la course du 100m pour se plier aux contraintes du 110m haies (sauter correctement les haies qui représentent les syllabes accentuées en anglais, sous peine d’être disqualifié !).

Prenons maintenant l’exemple de l’espagnol castillan : cette langue est caractérisée par une posture de la mâchoire inférieure sensiblement plus avancée qu’en français (« mode prognathique ») qui, par l’étirement des cordes vocales induit, impacte les différents sons de la langue (R roulé apical), mais aussi le débit et le timbre des locuteurs. La prise en compte de cette différence fondamentale doit mener à une didactique de l’espagnol fondée sur des exercices corporels permettant progressivement d’automatiser ces nouveaux gestes.

En résumé, le passage d’une langue à l’autre ne doit pas être appréhendé comme un processus purement mental, mais doit induire un changement physique conscientisé et observable (au niveau du visage, nous n’évoquons pas ici la gestuelle liée à la communication non verbale). Comme dans tout sport, cette gymnastique doit être pratiquée très régulièrement et se ressentir physiquement : les courbatures (au niveau des muscles du visage) sont un signe de transfert réussi !

Evelyne Muller, Maître de Conférences en Etudes anglophones, ENSGSI, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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